B17. Le discours sur la montagne : les béatitudes / Interprétation

Les liens entre Exode 19,16-19 et Matthieu 5,1-10

Le lien entre Exode 19,16-19 (la théophanie au mont Sinaï) et Matthieu 5,1-10 (le début du Sermon sur la montagne, incluant les Béatitudes) repose sur la révélation divine au sommet d’une montagne et sur le rôle central de Dieu dans l’établissement de sa volonté et de son alliance avec son peuple. Cependant, il existe aussi un contraste significatif : tandis qu’en Exode la révélation est marquée par la puissance et la crainte, en Matthieu elle se fait par la douceur et l’invitation au bonheur.

  1. La montagne comme lieu de révélation :

    • Dans les deux passages, la montagne est un lieu symbolique où Dieu se manifeste pour révéler sa volonté. Au Sinaï, c’est une théophanie impressionnante ; dans Matthieu, c’est par la parole et l’enseignement de Jésus.
  2. La proclamation de la volonté divine :

    • Au Sinaï, Dieu donne les Dix Commandements, une Loi explicite pour guider la vie du peuple.
    • Sur la montagne de Galilée, Jésus proclame les Béatitudes, qui dévoilent les valeurs profondes du Royaume de Dieu, une forme d’accomplissement et de dépassement de la Loi mosaïque.
  3. Le rôle d’un médiateur :

    • Dans Exode, Moïse est l’intermédiaire entre Dieu et le peuple.
    • Dans Matthieu, Jésus est à la fois le médiateur et la révélation divine incarnée.
  4. Une alliance renouvelée :

    • Au Sinaï, Dieu établit l’alliance avec Israël, basée sur l’obéissance à la Loi.
    • Sur la montagne des Béatitudes, Jésus annonce la nouvelle alliance, centrée sur la grâce et le cœur transformé par les valeurs du Royaume.
  5. Le contraste dans le mode de révélation :

    • Dans Exode, la théophanie est marquée par la crainte et la puissance (tonnerre, feu, trompettes).
    • Dans Matthieu, Jésus enseigne dans la douceur et la simplicité, révélant un Dieu proche et accessible.
  6. L’objectif commun :

    • Dans les deux récits, Dieu cherche à former un peuple saint, qui reflète ses valeurs dans le monde. La Loi au Sinaï est un cadre extérieur ; les Béatitudes appellent à une transformation intérieure.

Conclusion

Exode 19,16-19 et Matthieu 5,1-10 s’inscrivent dans une continuité spirituelle. Dans l’Ancien Testament, Dieu se manifeste au Sinaï pour donner la Loi, signe de l’alliance avec Israël. Dans le Nouveau Testament, Jésus, le nouvel « Moïse », révèle les Béatitudes, qui approfondissent et accomplissent la Loi en orientant vers le Royaume de Dieu. Ces passages témoignent d’un Dieu qui, à travers le temps, cherche à conduire son peuple vers une vie de sainteté, d’amour et de communion avec lui.

La Loi est donnée comme un don de Dieu pour sceller l’Alliance entre Dieu et le peuple élu. Elle est la règle de vie pour le peuple de Dieu.
Jésus propose d’accomplir la Loi par les Béatitudes pour entrer dans une nouvelle relation de joie en vue de l’éternité, en adoptant les comportements moraux de Jésus illustrés dans tout le Sermon sur la Montagne (Mt 5-7).

Les dix commandements sont les dix paroles (voir le récit de la création Gn 1-2) de la création de la communauté du peuple de Dieu.

La Loi écrite surtout en négatif : « tu ne tueras point », favorise en positif la créativité et l’invention de l’homme pour favoriser des relations humaines fraternelles et pacifiques.

Ces dix paroles sont accomplies et dépassées, mais pas supprimées, par Jésus, qui propose les huit Béatitudes pour entrer dans la joie du Royaume de Dieu.

Dans l’Ancien Testament, on trouve des textes législatifs (ex. les Dix Commandements qui sont présentés, avec de menues différences, en Ex 20 et Dt 5). La conviction des croyants est que Dieu poursuit son oeuvre de création par sa parole transmise à Moïse. La Loi permet de vaincre le chaos, d’organiser le monde et de rendre possible la vie sociale (cf. par exemple l’institution de l’année jubilaire en Lv 25).

Dans le Nouveau Testament, l’évangile de Matthieu présente volontiers Jésus comme un nouveau Moïse législateur voir le Sermon sur la Montagne.

Les évangélistes prêtent à Jésus de nombreux discours, l’un des plus longs étant le  »Sermon sur la Montagne » (Mt 5-7). On y repère la fameuse opposition :  »Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens… / Et moi je vous le dit… » (Mt 5, 21.27.31.33.38.43). Opposition qui n’est pas abolition, mais dépassement. Le Sermon sur la Montagne serait-il la dernière actualisation de la Loi ?

Cependant la différence entre Ancienne et Nouvelle Alliance tient moins à son contenu (un nouveau texte succèderait à l’ancien) qu’au mode de relation qui apparaît : celui qui dit la Loi n’est plus la divinité invisible, altérité qu’on ne peut voir sans mourir, il a pris visage humain et se soumet à la Loi qu’il prononce.

Vue d’ensemble du Sermon

Le discours de Jésus est appelé par Matthieu «enseignement» (Mt 5,2 et 7,28-29). Au début, en ouverture, les béatitudes. En conclusion, les images des deux voies et des deux maisons. Pour risquer son choix, le disciple a désormais sous les yeux un résumé de l’enseignement de Jésus dont le coeur tient en deux formules :  »N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger mais accomplir » (Mt 5,17) et  »Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux : c’est là toute la Loi ou les Prophètes » (Mt 7,12). Notons que si le cur du discours est là, le milieu, lui, est constitué par la prière du Notre Père (Mt 6,9-15).

Qui a autorité sur la Loi ? Celui qui la promulgue en disant  »je ». Pour le Décalogue, c’est le Seigneur Dieu libérateur de la servitude d’Égypte. Ici, c’est Jésus : il n’abolit pas la Loi, il l’accomplit (donc il la domine). On pourrait dire aussi qu’il l’intériorise et la radicalise, partant de la lettre pour mieux faire entendre le souffle. C’est tout le paradoxe des  »antithèses » (Mt 5,21-48) : la colère est mise en lien avec le meurtre et l’amour du prochain est étendu à l’amour des ennemis.

Approche d’une partie : les antithèses

Le cinquième commandement du Décalogue ( »Tu ne tueras pas ») jouait déjà avec le huitième ( »Tu ne témoigneras pas à tort contre ton prochain »), le faux témoignage pouvant, dans un procès, conduire l’accusé à la mort. En Mt 5,22 (première antithèse), nous ne quittons pas le tribunal et Jésus radicalise la portée responsable de toute parole prononcée contre un frère.

La radicalisation se poursuit avec la deuxième antithèse, écho du sixième commandement sur l’adultère. La dénonciation du regard désirant (Mt 5,28) est dans la droite ligne du mouvement amorcé par le dixième commandement ( »Tu ne convoiteras pas… »). Même processus avec la quatrième antithèse sur le parjure (Mt 5,33), actualisation du troisième commandement ( »Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu… ») déjà revu et corrigé par la Loi de Sainteté et le Code Deutéronomique (Lv 19,12 et Dt 23,22).

La troisième antithèse sur le divorce (Mt 5,31s) et la cinquième sur le talion (Mt 5,38s) quittent d’ailleurs le cadre strict du Décalogue pour explorer les méandres des trois Codes (respectivement Dt 24,1 puis Ex 21,24, Lv 24,20 et Dt 19,21) tels que les parcouraient à l’époque les docteurs de la Loi.

Et c’est toute une Tradition de lecture multiséculaire qui semble exploser avec la dernière antithèse :  »Vous avez appris qu’il a été dit ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi’… » (Mt 5,43).  »Il a été dit », passif théologique pour  »Le Seigneur a dit… ». Si la première partie du précepte se trouve bien dans l’Écriture (Lv 19,18), il n’en va pas de même de la seconde. Il ne peut s’agir, durcissant un parallélisme trop attendu (aimer/haïr ; prochain/ennemi), que de la Torah orale, non consignée dans l’Écriture mais tout aussi révélée par Dieu. Jésus ne va pas invalider ce fondement, il va l’approfondir et en infléchir le mouvement d’extension :  »Et moi, je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent  » (Mt 5,44).

 »Et moi, je vous dis… » : ainsi se manifestent la liberté et l’autorité de Jésus. Elles lui permettent d’aller de l’avant sur les chemins de la Parole de Dieu, insondable et toujours autre, renouvelant à chaque fois le rapport au monde. Le  »prochain » peut être mon ennemi ! Et Jésus invite ses auditeurs à s’approcher de cet ennemi. Luc, on le sait, tissera là-dessus la parabole du Bon Samaritain (Lc 10,25-37).

© Gérard Billon

Références

Les liens entre Exode 20,1-17 et Matthieu 5,1-8

Le lien entre Exode 20,1-17 (le don des Dix Commandements) et Matthieu 5,1-8 (les premières Béatitudes du Sermon sur la montagne) se trouve dans leur rôle central dans la révélation de la volonté divine et dans la formation du peuple de Dieu. Ces deux textes reflètent des étapes différentes dans le projet de Dieu pour conduire son peuple vers une vie de sainteté et de communion avec lui.

  1. Un sommet comme lieu de révélation :

    • Dans les deux passages, une montagne est le lieu symbolique où Dieu révèle sa volonté.
    • Au Sinaï, c’est par le don des commandements, un cadre moral concret. Sur la montagne des Béatitudes, Jésus donne une vision intérieure et spirituelle.
  2. Une révélation pour former un peuple saint :

    • Les Dix Commandements visent à sanctifier le peuple par une obéissance extérieure aux lois de Dieu.
    • Les Béatitudes appellent à une transformation intérieure et une vie en accord avec les valeurs du Royaume.
  3. Le lien entre la Loi et son accomplissement :

    • Les Dix Commandements constituent la base de la Loi mosaïque.
    • Les Béatitudes, sans abolir la Loi, en révèlent la plénitude, comme Jésus l’expliquera plus tard dans le Sermon sur la montagne (Mt 5,17 : « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir »).
  4. Dieu comme source de la vie morale :

    • Dans Exode, Dieu parle directement à son peuple pour lui donner un chemin de vie.
    • Dans Matthieu, Jésus, Dieu incarné, enseigne avec autorité, révélant les promesses divines pour ceux qui suivent ce chemin.
  5. Un appel à la relation avec Dieu et les autres :

    • Les Commandements mettent l’accent sur le respect envers Dieu (interdiction des idoles, respect du sabbat) et les relations humaines (ne pas tuer, voler, mentir).
    • Les Béatitudes invitent à la douceur, à la paix, à la miséricorde et à la pureté de cœur, des dispositions qui transforment la vie communautaire.
  6. Le contraste entre Loi et grâce :

    • Exode insiste sur l’obéissance à la Loi comme condition de l’alliance.
    • Matthieu proclame la grâce et la bénédiction pour ceux qui adoptent une vie de foi et de confiance.

Les différences majeures

  • Exode 20 met l’accent sur des interdits clairs et précis (« Tu ne feras pas ») pour guider le comportement humain.
  • Matthieu 5 met en avant des promesses positives, une invitation à adopter des attitudes qui conduisent à la bénédiction.

Conclusion

Exode 20,1-17 et Matthieu 5,1-8 s’articulent comme deux étapes dans l’histoire du salut. Les Dix Commandements fournissent un cadre moral fondamental pour vivre en alliance avec Dieu. Les Béatitudes, quant à elles, élèvent cette alliance vers une spiritualité plus profonde, centrée sur la grâce et les valeurs du Royaume de Dieu. Jésus, le nouvel « Moïse », ne remplace pas la Loi mais l’accomplit en révélant le cœur même de la volonté divine : une vie bénie, ancrée dans la foi et l’amour.